segunda-feira, 8 de dezembro de 2008

Pedro Costa Entretien effectué le 13/03/2001, ARTE

1. Immersion

C'est une question difficile, telle que tu la poses comme ça. C'est difficile. Je ne voulais pas être poétique. Au début, je pensais que c'était un choix, de choisir un monde et pas un autre, certaines couleurs et pas d'autres, même des choses esthétiques avec tous ces dangers, aussi une espèce d'absence de parole chez des gens qui peuvent pas parler, qui sont exploités. Il y avait un danger, une fascination du moins et du vide mais toujours avec une espèce de justice, de choses justes qu'il y a à filmer d'un point de vue juste, qui serait plus juste et en même temps ce serait plus facile de filmer d'un côté que d'un autre. Ca a donné des films que j'ai faits qui peut-être sont trop perdus ou trop…, où je voulais essayer de comprendre ces gens-là, ce monde-là, qui n'est pas le mien, qui est même une autre classe. Avec ce film, moi, je crois que j'ai compris que c'est une classe qui a une langue qui accuse, qui se défend et qui donc a un mouvement complexe et pas seulement les pauses qu'on a vues au cinéma ou à la télé, et qu'en même temps, dans ce monde que je filme [dans ce film] il y a des riches et des pauvres, il n'est pas seulement fait d'une chose mais de plusieurs. Alors, un moment il y a… le social .

2. Comment filmer une petite partie du monde ?

C'est une question complexe, la société ou le monde, comment filmer une petite partie du monde et qu'on voit quand même tous les côtés de la chose dans cette petite partie du monde. C'est pour ça qu'il faut trouver des mondes limités parce que vraiment le monde est limité, il y a comme des frontières entre les classes mais aussi entre les idées des hommes, un moment où on communique plus, du moins un temps où la direction change, de plus en plus petit. Par exemple, au niveau des guerres, on voit ça en Europe, des énormes empires, genre Est-Ouest, ça devient de plus en plus petit, jusqu'à l'état tout petit.

3. Le passage d'"Ossos" à "Dans la chambre de Wanda"

La différence, c'est grandir, je crois. Mais grandir, je pense à ce livre qui est pas mal, "Age d'homme", c'est qu'"Ossos", il y avait un monde choisi, parce qu'il s'accordait bien à mes désirs, à mes choses lointaines d'enfance, qui venaient plus des peurs, plus sombres, d'angoisses de petit garçon. Là, je voyais bien que ça venait de là. Ou bien de films qui m'ont marqué pour ça. Certains films d'horreur ou tous les films allemands, quand je dis horreur, je pense à Tourneur, qui étaient des invitations à entrer dans ce monde. Je prends l'exemple de Tourneur, des mondes où les gens ne savaient pas être au monde, donc il y avait quelque chose dans ce quartier qui était aussi ça, des gens qui savent pas, qui n'ont pas la place, qui n'ont pas les mots, qui sont tellement trompés et exploités et opprimés qu'ils ont dû parler d'une autre façon, parler avec une espèce de langage tellement métissé pour se protéger, parce qu'ils étaient tellement trompés et exploités… Le passage des deux films c'est ça, au début il y avait un regard de détresse cinéphile, quelque chose d'enfantin, qui aime ce qu'il voit mais qui a peur, qui veut se réveiller tout le temps. Il y avait plus de cinéma dans "Ossos" dans ce sens-là et aussi moins de cinéma dans le sens où je commence -j'ai toujours compris le cinéma comme ça mais - où il faut faire des pas, peut-être qu'un film explique l'autre.

4. La vie qui circule dans les sons

Moi, j'aime beaucoup beaucoup travailler le son, mais le travailler vraiment, passer des mois et des mois, et dépenser beaucoup d'argent évidemment parce que c'est cher, à refaire le son à envoyer des gens faire des ambiances. Moi, je crois que c'est une bonne chose quand tu as un copain qui fait le son, qui est déjà engagé dans cette espèce de film avec des gens, tu n'es même pas une petite équipe. Et tu dis : "Va écouter un peu ce monde. Prends un week-end, complètement tout seul, tu verras c'est bien." Et puis, tu vois ce qu'ils disent, dans les films : "Après, on fait une ambiance raccord ou je vais faire un petit son là-haut dans la montagne", c'est pas absolument vrai. C'est toujours entre le moment où la voiture de production va partir, il fait le son avec déjà le coin de l'œil sur la dernière voiture sur le point de partir et il dit "Hé, là, je fais encore un son". Mais ce n'est pas exactement vrai, faire un son, c'est pas ça. C'est parler avec des gens, rentrer dans les maisons, c'est dîner, c'est tout ça. Et ça, j'aime beaucoup, faire beaucoup d'ambiance, ou essayer moi-même, c'est une autre façon de filmer, j'en ai fait moi-même beaucoup pour Wanda. Mais c'est être là avec un micro et une caméra. Essayer de faire parler les gens parfois, dans Wanda, il y a plein de choses comme ça. Dans l'autre aussi. J'étais avec mon DAT, et j'ai fait parler des gens, ils parlaient de tout et de rien, dans Ossos il y a ça, des moments de conversations, de dîner d'une famille, derrière. Après tout ce travail de son, de montage, c'est quelque chose que je trouve nourrit les films d'une façon pas pour faire comme si c'était du direct, parce qu'on voit bien dans ces deux films qu'il y a un travail sonore qui dépasse le son direct, qui serait là, présent, brutal, mais aussi un côté recomposé. Le son installe une espèce de confiance dans la vie, il donne un peu de vie, simplement. Dans le quartier, c'est absolument nécessaire parce que le son du monde, il ne s'arrête jamais. Moi, j'imagine, je sais qu'il y a peut-être seulement une minute ou même moins, de silence dans ce quartier, qui est entre 3 heures du matin et 3h35. parce que les gens vont travailler, ils vont sur les chantiers ou faire le ménage, et ça roule tout le temps. Il y a toujours quelqu'un qui se réveille, qui fait ses petits bruits, donc ça s'arrête jamais jamais.

5. Les pieds sur terre dans le monde

Le son précise l'image. Et si c'est pas fait comme ça, dans l'effet total, dans la musique, dans l'insistance, écouter écouter, passer quelque chose, mais si c'est fait discrètement, tout ce qui vient de la vie, ça précise ton objectif, ça donne la vie, ça peut créer le silence, ce qui n'est pas simple avec le son direct dans le cas des films, des lieux où je tourne. Et oui, ça je me souviens au montage, comment dire qu'il y a aussi le silence, on voit Wanda à l'image et il faudrait un silence bruyant, et ça il faut le recomposer, le refaire mais c'est surtout ne pas tromper mais si le travail est bien fait sérieux, à l'image ou au son, ça va. Ce qu'il ne faut pas faire c'est faire comme si on était là. C'est ça que j'aime aussi avec le son, c'est qu'il te place. A un moment, si le son est bien, tu es là ou ailleurs, ça peut venir simplement du fait que tu as mis un son de nuit sur une scène de jour, toi tu le sais, mais le spectateur il sera peut-être parti, il sera perdu. Moi, j'aime beaucoup les films qui gardent les pieds sur terre mais qui ont la tête complètement dans les nuages. Les pieds, c'est un peu le son, la tête, l'imaginaire ou les yeux… Mais avec le son, tu peux voyager beaucoup mais tu peux pas délirer. Mais ça vient aussi de mon goût pour les sons du début du parlant, du sonore, je ne sais pas comment on dirait cette matière, aujourd'hui, ton ingénieur du son va te dire "J'ai un bruit infernal", mais ce bruit, c'est le monde, parce qu'il ne veut pas entendre, moi et pas le reste. Mais moi, j'ai du mal avec ça et donc j'essaie de faire venir les autres choses, et c'est ça qu'il y avait au début, une âpreté qui venait aussi des acteurs qui étaient beaucoup plus aussi dans le monde et pas dans la société du cinéma. J'ai l'impression qu'un Michel Simon pour les Français ou un Portugais que tu connais pas ou un Allemand comme dans les films de Murnau, ils étaient beaucoup plus dans le cinéma que les acteurs d'aujourd'hui. Même s'ils avaient une vie au bar après, avec leur fiancée, tout ça, ils avaient pas d'autres voix, bien sûr qu'il y a des exceptions, mais là aujourd'hui, il n'a pas un acteur professionnel qui n'a pas une voix pour ton film et une voix pour sa vie. C'est comme je parlais d'une façon au quartier et à Paris d'une autre façon, je trouve ça un peu dommage, ce sont des choses que l'on perd, des choses même techniques et artistiques du cinéma qu'on perd et qui sont belles. Comme la photo qu'on a perdu, le grain, le beau noir et blanc qu'on a perdu, la belle image sans artifices, faite avec soin, vraiment penser la couleur, sans faire des expériences lamentables. Donc, voilà, cet accord qu'il y avait au début, qu'il y a toujours au début des choses, qu'on peut voir peut-être plus clairement dans ce genre de mondes où moi je tourne ou que l'on peut voir dans la rue. Le cinéma, c'était un peu fait pour ça, filmer la rue, le café, filmer chez les gens tout en étant dans la rue, cette idée de ne pas avoir d'intérieur/extérieur, pour moi, ça compte beaucoup. Le cinéma, c'est déjà tellement secret, il y a un secret tellement fort, tellement évident, cette chose que les autres arts n'ont pas, enfin, je crois, ce quelque chose que tu sens mais que ta compagne au cinéma sent d'une autre façon, mais ce n'est pas tout à fait la même chose.

6. Le travail

Ce que j'ai beaucoup aimé dans ce film, c'est que je partais tout seul, - je dis tout seul, enfin, parfois je partais avec cet ami qui faisait le son - on partait au travail tous les jours, le matin, si on avait du retard, on avait du retard, c'est tout. On avait pris trois cafés, c'est tout, il n'y avait pas la pression de faire trois plans aujourd'hui ou des séquences, mais vraiment le goût du travail, pas trouver des solutions - parfois il faut les trouver, comment placer le micro, etc., ça vient après - c'est vraiment aimer cet art modeste, comment dire, vraiment à égalité avec les autres choses, un art terrien, c'était assez beau, on dépendait de chaises, de petites choses. On avait pas de chaise pour placer quelque chose, c'était compliqué. Une chaise, c'est pas grand-chose. C'est pas demander au troisième assistant d'aller chercher n'importe quel truc. Il n'y avait rien non plus à couper, pas de branche d'arbres, tu vois ce que je veux dire. Je parle d'arbre, mais ça aurait pu être un mur à masquer, il n'y avait pas ce genre de problèmes, pour la première fois. Bien sûr, c'est très très difficile de travailler comme ça, mais tu penses plus, tu penses bien, c'est tout, tu es moins dans la théorie, tu es plus précis. Il y a une précision vraiment matérielle des cadres, des plans, comment filmer ce type-là, comment le prendre au son, c'est plus précis, si tu es nu, si tu as moins d'effets. C'est une question de préciser les choses, qui se font au tournage, que l'on va retrouver au montage évidemment. C'est un moment très enthousiasmant, exaltant et en même temps douloureux. C'est un peu avec des hauts et des bas. Chercher cette forme, tu es un peu seul dans ça. si tu as un complice tant mieux. Mais en même temps, cette précision du tournage précisent les choses au montage. Tu vois que c'est là et pas comme avant. Wanda disait une chose merveilleuse à la fin d'"Ossos", et moi je voulais, enfin, je savais pas, c'est l'arbitraire de tout ça… Je savais qu'elle devait se tourner et se placer de telle façon, bouger, etc., il y avait un cadre précis - à un moment elle devait avoir cette expression triste, au bord des larmes. Et donc, j'ai essayé de lui expliquer ça, c'était le malheureux réalisateur, je me voyais, je faisais tous les gestes que je déteste en expliquant : "Tu vois, là, tu dois…", j'avais un peu honte de ça. A la fin, elle m'a dit "Et si je riais à ce moment ?" Et là tout d'un coup, c'était atroce parce que j'étais totalement dans le cliché et elle me disait simplement, "Ca peut être ça ou ça", voilà.

7. Des films vengeurs

Je crois qu'il y a une idée de vengeance au début du cinéma. Venger quelque chose qui ne va pas très bien, il a le pouvoir de ça, il est tellement fort. J'ai vu des choses, toi aussi, Chaplin, c'est quelqu'un qui a vengé beaucoup beaucoup de choses. Dans chaque film, il venge, même sa fin, son passé, l'humanité, il venge des massacres, sans tuer personne, sans faire violence, sans violer. En essayant de ne pas faire la même chose, il y a une possibilité de vengeance, dans la fiction, surtout.

8. Des films pour la vie, contre les massacres

J'avais l'impression que j'avais la matrice des choses. Qu'en filmant une mère, je filmais vraiment une mère, c'était pas quelqu'un qui mimait une mère. Tout était très proche, non seulement de moi, comme d'un début de… Il y avait jamais de… C'est très difficile. Je garde ce regard, plus qu'un regard, un œil sur ce monde et sur le monde et que j'aimerais être extrêmement vaste et en même temps, il faut que je… Je crois que Fritz Lang faisait des films comme ça, il avait ça en tête et ce type était tellement précis. Tous ses films étaient des vrais films humains, pour la vie, contre le massacre, de la sensibilité, des hommes, de la chair, contre la guerre. Voilà quelqu'un qui le faisait avec un œil supérieur, avec cette construction abstraite énorme qui composait et qui donnait une force incroyable au malheur ; Quand quelqu'un tombe dans ses films, il essaie de se venger de ce malheur qui était là avant lui, avant sa naissance, ou un crime mais avec un tel pouvoir que cela devient tout le monde, cela devient une classe, ça devient un pays… Lui, il a ça. Et j'ai ressenti ça. Si je devais organiser après, au montage, tout ce que j'avais filmé, en gardant cette idée de venger ce crime qui se passe et le faire à la manière de Fritz Lang par exemple, c'est à dire avec précision, avec amour du cinéma, avec amour de la coupe, des matières, des sons, recomposer, abandonner, ressayer, ne pas céder à la première chose qui vient, jamais céder aux effets, passer encore un peu plus de temps, patience, patience, travail, travail. Moi, je ne sais pas pourquoi les gens n'aiment pas ce travail, s'épuisent ou abandonnent facilement. Tous les films ont ce côté aujourd'hui de ne pas aller au bout de ce qu'ils veulent dire. Je dis ça de films bien également, ou de films qui ont peut-être quelque chose, mais ils ne vont vraiment pas au fond, parce qu'ils n'ont pas eu la force ou l'argent, le combat a été trop dur contre le producteur ou je ne sais pas qui… Et ça, c'est également une idée de vengeance, si on travaille avec patience, on va venger quelque chose, venger aussi tout le cinéma qui a été fait avant et qu'on essaie de faire oublier.

9. La vengeance de la fiction

Mais dans ce cas-là, je parlais de vengeance dans la fiction parce que c'était le seul pouvoir que j'avais dans ce film, c'était d'organiser tous les blocs que j'avais après, toute cette matière que j'avais filmée, de l'organiser, pour vraiment faire passer l'idée que ces gens-là, sont même plus forts que les gens qui ordonnent le massacre, en sachant que je travaillais d'une façon un peu… comme ça avec une petite caméra vidéo, j'étais proche de ce que les gens disent "documentaire", ou des choses improvisées, que cela se touche. Je vois bien les moments où Fritz Lang touche les lumières, le train ou le bébé, l'arroseur, je vois pas pourquoi M serait pas plus documentaire que… Lumière a parfois beaucoup plus de fiction en une minute. Equilibrer ces deux choses-là peut donner quelque chose d'inespéré, de… Je ne sais pas trop expliquer cette idée de vengeance ou de regard vengeur mais c'est peut-être… mais c'est peut-être trop romantique, mais le côté que le cinéma aujourd'hui doit être vengeur. Un type comme ça, masqué, qui doit venger des crimes, des massacres contre les gens… Et encore, en plus, fait de cette façon-là, je dirais pas en marge, que les gens disent extrêmement pauvre. Et après, confronter les gens avec…

10. La machine à tuer les méchants

Quand on fait un film, c'est par amour évidemment, il n'y a rien d'autre. C'est l'amour fou pour quelque chose, pas une idée, je sens pas le cinéma comme ça, tout d'un coup, je vais dans la rue, j'ai une idée, non. Je crois que c'est quelque chose de l'ordre totalement amoureux qui renvoie à une mémoire, à quelque chose où tu te dis "Tiens, j'ai vu ça à un moment dans ma vie, dans un livre, c'était quoi ?" Là, tu commences une énorme chaîne, qui est encore de l'ordre amoureux, tu essaies de protéger quelque chose avec ce que tu sais faire, avec ce que tu imagines que tu sais faire, tu auras plus de désir et tu seras donc meilleur. On capitalise tellement dans ce moment-là, dans cette espèce d'amour original, sans idée, qu'à la fin, je dirais que je commence le tournage avec ça, et au montage, je serais beaucoup plus vengeur. Là, il y a quelque chose de plus maléfique, même si ce maléfique est positif puisqu'il s'agit de détruire les fascistes, les nazis, la drogue, l'argent, les choses qui ne sont pas bien. Là, au montage, on peut organiser les choses. C'est comme ça que je vois Lang ou Chaplin. Chaplin, c'est très évident, son côté vengeur, - peut-être qu'il voulait se venger de sa vie. La question que ça ne peut pas être comme ça, qu'il faut les tuer, c'est la machine à tuer les méchants, de Rossellini. Voilà, le cinéma, c'est une machine à tuer les méchants. C'est d'ailleurs un très beau titre. J'aime tout ce qui a à voir avec ça, c'est à dire le côté dynamique, dynamo, du cinéma qu'il avait avant, quand il avait encore ce côté collectif, même si les gens étaient… Lang, Brecht, les Russes, les Français et les Italiens, c'était un corps, ils fondaient la théorie sans être lourds, ils voyageaient dans les trains, en filmant, ils développaient la pellicule, ils savaient tout faire, écrire, produire, filmer, boire, vivre avec les gens. J'imagine pas Brecht qui est pas là dans la soupe, mais avec les pauvres. Même à Hollywood, Lang, il était dans la machine, en sachant très bien où il était, minant complètement tout le terrain. Je trouve dommage que des gens qui avaient tellement de talent, de génie, cet héritage absolument incroyables, que nous, on soit pas capable de faire quelque chose du même genre, enfin plus ou moins.

11. Le problème des films d'aujourd'hui

Le problème des films aujourd'hui, c'est qu'ils viennent du cinéma. Le désir c'est faire comme quelqu'un ou faire un film, c'est pas filmer quelqu'un, c'est très rare. Quand tu vois ça, tu le sais tout de suite, au premier plan, tu te dis : "Tiens, voilà quelqu'un qui veut filmer cette jeune fille ou ce garçon, cette rencontre. Ils sont tous dans le même genre. On sait qu'on est au cinéma, on est dans un cinéma cinéphile, comme la cinéphilie aujourd'hui, ça veut dire des choses tellement disparates, parce que… parce que les modèles sont des rien du tout, des exercices d'école de cinéma, c'est ouvrir la porte, fermer la porte, sortir… Et donner un certain charme à ça, c'est pas plus que ça. Moi, je crois que pour faire un film aujourd'hui, il faut passer beaucoup plus de temps qu'avant. Pas beaucoup plus, dans le sens où je n'ai pas une idée christique de ça, genre il faut que cela soit un sacrifice, loin de là, mais il faut vraiment bien voir avant de tourner, un deux trois mois, si on peut, mais pas avec une équipe, qui est en discussion dans une salle avec des plannings, ça c'est rien, c'est pas choisir les couleurs du canapé, c'est voir si le film est possible. Et après, le tournage il ne faudrait le faire qu'avec cet amour… qui commence à disparaître parce que les gens sont jeunes maintenant au cinéma, les techniciens, tout le monde, même des gens qui ont des responsabilités disent "Un film des années 30, c'est un vieux film", cette idée de progrès, que le cinéma avance, moi je pense que le cinéma n'avance rien, moi j'ai l'impression de travailler dans la merde par rapport à ce que faisaient les gens dans les années 30, ce qu'on a perdu d'optique de son, d'humanité dans l'optique, dans le son, avec les acteurs, peut-être même dans la profession. J'ai connu de vieux techniciens - peut-être que ça sonne un peu réactionnaire - mais ces gens-là, vraiment, ils avaient un amour des choses… Comme on avait un amour des choses avant, suffit de penser au grand-père qui aime parler des heures et des heures sur un bout de bois, je ne sais pas, c'est la même chose. Mais, voilà, tu retrouves des équipes qui passent d'une chose à l'autre, qui ont quarante films à faire… Donc passer du temps, patience, patience et amour du travail… C'est la même chose pour le montage, c'est un art très complexe. Il y a des gens qui ont… quand tu vois les grands monteurs de l'histoire du cinéma, Eisenstein, Chaplin ou Stroheim, tu vois ce qu'on a perdu… Que le montage, c'était vraiment quelque chose de dialectique - un mot que l'on a perdu -. Un beau mot. Ca veut dire que tu as là une matière qui est forte, qu'il faut savoir où ça se passe, je suis dans une espèce de réalisme bizarre. Cette époque est très réaliste. Tout le monde est dans une espèce de réalisme glacé, fabriqué, mais vraiment informe, il n'y a pas de formes, les films n'ont pas de forme. Mais si le film n'a pas de forme, il n'est pas bon. Ca peut être de beaux paysages mais il sera pas juste, il fera pas justice aux gens qui sont dedans ou aux spectateurs, et on va au bureau.

12. Action, moteur, coupez

Le poids de l'action, moteur, coupez, c'est infernal, j'imagine que c'était pas comme ça avant. Ca faisait pas peur, aujourd'hui ça fait peur. Ca fait peur aux enfants, le clap aujourd'hui.. Moi, quand je passe sur des tournages d'amis, les claps, ce sont des coups de feu, or un clap c'est quelque chose pour certains films utiles, c'était du travail, on commence quelque chose avec des gens, à ce moment-là, précis, mais aujourd'hui, non. On fait des claps, on reproduit, on réinstalle, c'est un peu exagéré mais bon… Non, il y a aussi autre chose mais cela m'est très personnel. C'est mon côté… je commence à penser que je n'arrive pas à imaginer les choses. Enfin, ce n'est pas imaginer, imaginer, oui, respecter mon imagination, c'est difficile je pense. Il faudrait que je respecte mon imagination. Je n'ai pas la capacité ni le goût des conventions, je peux tout imaginer, il n'y a pas de limites, je suis assez généreux, je veux que tout le monde l'imagine mais l'appliquer comme ça au cinéma n'importe comment, là on va faire une petite touche comme ci, on pourrait inventer un geste ou deux trois mots pour sauver la scène, là je vois pas, j'ai perdu ça. Je l'ai vu avec film, je pense que c'est la même chose pour Straub ou Godard, des gens comme ça, qui prennent les choses… Straub, eux, prennent, avec un travail énorme, des textes, qui sont tellement forts et tellement vastes, où il y a une ambition, là ils les prennent, les travaillent, leur donnent une autre forme, ça devient autre chose. Godard, il prend aussi des bouts de choses, des restes. Bon, ça vient aussi des livres, des films, moi je prendrais comme ça parce que je ne vois pas bien comment écrire mieux que Wanda, enfin écrire… Je pourrais passer des heures et des heures et des mois, je n'aurais pas la finesse de certains dialogues, les gestes… Wanda, il y a des gestes qui me rappelle Lubitsch, un petit quelque chose avec une cigarette qui était comme John Wayne, c'est un peu cinéphile mais c'est comme ça. Donc, je me dis pourquoi se tuer la tête contre les murs, dans la chambre, avec le scénariste…

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