sábado, 30 de janeiro de 2010
Dans un noir et blanc sublime, un grand moment de poésie documentaire sur une chanteuse – Jeanne Balibar – au travail.
Ne change rien s’ouvre sur un extrait d’un concert de l’actrice et chanteuse Jeanne Balibar, accompagnée par son complice musical Rodolphe Burger. Le gris sombre de l’image est un peu froid, nébuleux, irréel. L’interprète et ses musiciens, posés sur une scène insituable – dans quelles circonstances jouent-ils ? face à quel public ? aucun contrechamp ne viendra nous le dire –, semblent appartenir à un autre monde, un bloc de sons et de lumières étrangers. Quelque chose pourtant nous ramène fortement à eux et rompt cette distance apparente, un détail infime qui oriente la perspective de notre regard : les petits spots ronds, au-dessus du groupe, mis en évidence par la contre-plongée. La caméra reste suspendue à cette constellation artificielle et y puise toute la nécessité de la scène.
Nécessité cinématographique première d’avoir un minimum de lumière pour que quelque chose existe à l’écran, comme s’il s’agissait de capturer les premiers rayons de l’aube ou la dernière lueur du jour. Chez Pedro Costa, ce minimum, tenu à merveille par la mise en scène, finit par devenir vital et par donner sans crier gare du sens à tout ce qui l’entoure. C’est dans la fragilité même d’un éclairage, d’une voix vacillante ou de mots posés sur un accord de musique que vibrera tout le long du film cette magnifique et ténue nécessité (musicale, formelle, existentielle). Et nous avec.
“Ne change rien, pour que tout soit différent…” Ces paroles psalmodiées d’une chanson de Balibar correspondent assez bien à ce que le cinéaste portugais capte de l’interprète, pure présence, à la fois immuable dans le noir et blanc sublime de l’image, et caméléon, c’est-à-dire caisse de résonance de mots qui retentissent en et autour d’elle, repris parfois jusqu’à épuisement.
Des répétitions pour son deuxième album aux représentations décadrées de La Périchole d’Offenbach, en passant par des cours de chant lyrique, ce visage, souvent à deux doigts d’être mangé par les ténèbres, reste identique et autre, ici et ailleurs, pris dans un entre-monde incroyablement tangible, où nous sommes libres de nous raconter des histoires, de nous perdre pour mieux nous retrouver. Documentaire sur le travail artistique (comme l’était Où gît votre sourire enfoui ?, filmant les cinéastes Straub et Huillet sur leur banc de montage), le film – chambre noire aux mille et un échos – nous parle aussi admirablement de nos fictions.
“Ne change rien, pour que tout soit différent…”, tel pourrait être le credo de Costa lui-même qui, tout en s’aventurant sur un autre territoire que celui du Lisbonne pauvre dépeint dans ses précédents films, garde le même cap, tenace et exigeant : proche ici du meilleur Garrel des années 1970 (filmant Nico en noir et blanc), il reste viscéralement fidèle à une esthétique de la précarité, intense car ne tenant qu’à un fil, celui qui maintient le cinéma en vie.
Le 22 janvier 2010- par Amélie Dubois
LesInrocks
segunda-feira, 25 de janeiro de 2010
L'enfermement et la fiction
« Je me souviens três bien qu'un jour, sur le tournage d'un de mes premiers films, je me suis dit que je n'étais pas fait pour filmer des paysages. Je me sens beaucoup mieux dans une chambre, dans des couloirs, dans cette espèce de laboratoire humain où il y a des gens qui s'agitent, qui cherchent, avec très peu de moyens, avec des cendriers, des lampes de poche. Pour le film avec Jeanne Balibar, comme pour le film avec Jean-Marie Straub et Daniele Huillet (Où gît votre sourire enfoui ?, 2001), j'essaie d'aller plus loin qu'un simple documentaire sur le travail artistique, j'essaie vraiment d'aller vers une fiction. Pendant qu'ils cherchent, pendant qu'iIs travaillent, pendant qu'ils doutent, j'essaie de trouver une histoire là-dedans, un petit fil d'histoire qu'on pourrait suivre, et qui naît de l'espace et de la lumière. Dans le film sur les Straub, c'était le couple, l'homme et la femme, l'écran du moniteur de Daniele et la porte du couloir de Jean-Marie, les allers-retours. Dans le film sur Jeanne, j'ai cherché à construire un espace sans jour, sans nuit, hors du temps, quelque chose d'intense et de très, très long qui pourrait donner l'envie de suivre une histoire. Je me suis fabrique la fiction d'une bande de quatre types qui sont perdus dans une cabane en pleine forêt. II y a un feu de cheminée, il y a clairement le chef du gang, il y en a un autre qui ne parle pas et qui est très anxieux. Enfin, il y a Jeanne qui apaise tout ça, dans son coin. Comme dans un polar ou un western des années 40. Quand j'étais enfant ou adolescent, j'éprouvais devant les westerns une sensation d'enfermement beaucoup plus grande que dans des films étouffants comme ceux de Joseph H. Lewis. Même filmes dans de grands espaces, les westerns d'Anthony Mann, pour moi, manquaient d'air. Je ne voyais pas l'ouverture mais l'enfermement. »
Le noir et le blanc
« Pendant tout le tournage, j'ai évidemment filmé en couleurs avec ma petite caméra. Au début, je ne pensais pas faire le film en noir et blanc. C'est une décision de montage. Chaque fois que je visionnais les concerts que j'avais filmes, je me disais que les lumières des salles de concert étaient très moches. Alors, dans un geste de désespoir, j'ai tourné le bouton de saturation de couleur et tout d'un coup il y avait le noir et blanc. Les concerts passaient beaucoup mieux ainsi que d'autres plans comme celui où Jeanne répète avec sa directrice musicale l'opéra d'Offenbach. Son visage devenait, je ne sais pas si c'est plus réel, plus concret ou plus irréel, mais on voyait des choses qu'on ne voyait pas en couleurs, par exemple les rides, les dents, les nerfs, le cou. II y avait une toute autre sensualité. J'ai donc décidé de tout passer en noir et blanc. Puis j'ai pris la décision un peu folie de transférer la petite vidéo en noir et blanc en négatif 35 mm, un vrai négatif noir et blanc. Et c'est une histoire triste parce qu'à la fin de notre travail de kinescopage et de tirage de copie, les techniciens d'Èclair m'ont dit: "Dommage, c'est beau, mais dans deux ans tu ne pourras pas en faire un autre comme ça, ce sera fini." Donc, quelqu'un comme Garrel, je ne sais pas comment il va faire, mais ce ne sera plus possible... »
Le rêve et l'action
« Ne change rien repose sur des blocs assez opposés, avec des genres de musique très différents (Offenbach et le rock). À partir du moment où, au montage, j'avais choisi ces blocs, je me suis un peu perdu moi-même dans les paroles des chansons. Dans l'histoire de la Périchole, dans les histoires que Jeanne chante, je commençais aussi à voir une histoire d'amour où il était question de solitude, de torture, d'amour perdu. J'ai suivi un peu ça en assemblant les blocs par thèmes. II y a 80 % de musique dans le film, mais je n'ai pas trop fait attention aux chocs, aux raccords musicaux. Le montage ne suit pas ça, ce n'est pas du tout une alternance de musique douce et de musique plus violente. On voulait aller vite. Sans transition, sans respiration. C'était plutôt ce que Jeanne chante, ce qu'elle essaie de raconter qui m'intéressait beaucoup parce que, à travers elle, revenaient d'autres femmes de mes films, comme Vanda ou Edith Scob. C'était comme la construction d'une femme qui n'est pas là mais qui vient avec Jeanne, avec ses mots, avec ses paroles. C'est donc finalement un film propice au rêve. Alors que je pourrais dire que je déteste le rêve. Le cinema, c'est le rêve mais c'est aussi l'action. Disons qu'avant j'étais beaucoup plus dans le rêve que dans l'action. Maintenant, je suis beaucoup plus dans l'action pratique, dans la routine du travail un peu chiant, acheter du papier aluminium pour l'éclairage, transporter le pied de caméra, faire moi-même les sandwichs. Et ça c'est de l'action, ce n'est pas du rêve. Mais je n'aime pas non plus l'action. Je veux dire que je deteste le rêve comme l'action. Mais comme je dois faire avec les deux, je les mélange. Ce n'est pas une chose plus qu'une autre. Je ne suis pas dans un rêve de cinema, je ne suis pas dans un petit rêve de scénario, je ne suis même pas dans un petit rêve de perfection, d'idéalisation d'un film à faire. Je suis beaucoup plus dans les emmerdements de la routine, qui peuvent être une torture mais dans lesquels j'ai aussi appris à trouver du plaisir. »■
Propos recueillis par Nicolas Azalbert, le 19 décembre 2009.
Cahiers du Cinema, Janvier 2010, Nº 652
domingo, 24 de janeiro de 2010
sábado, 16 de janeiro de 2010
Pedro Costa est célèbre et célébré. Son cinéma parle à la France. C’est, profondément, un cinéma d’auteur. Donc un cinéma français. À une époque où cette tradition de recherche est devenue une institution et un système, une nouvelle qualité française.
Exemplaire, l’oeuvre de Costa n’est pourtant pas un modèle. Ni économique, ni artistique.
Il y a deux ans, lors d’une rétrospective au FID (belle parce qu’enrichie d’une somptueuse carte blanche), Costa avait dit : je suis un cinéaste hollywoodien. Il n’y a rien de plus européen que de se revendiquer fordien, tourneurien, walshien, hollywoodien.
Mais pour Costa c’est aussi dire : depuis Vanda (2001), je sais comment un cinéaste européen peut être hollywoodien.
Comment ? L’histoire est connue, mais racontons-la une dernière fois.
En 1997, Pedro Costa tourne Ossos à Fontainhas, bidonville lisboète. C’est une production traditionnelle avec caméra 35mm, travelling, projecteurs, et assistants. Costa fait partie du métier, du milieu du cinéma portugais. Le tournage avance, chacun à son poste : routine du cinéma d’auteur européen. Et le malaise grandit, le sentiment d’un mensonge, d’un déséquilibre, à la fois moral et concret, de part et d’autre de la caméra. « Les camions ne passaient pas, le quartier refusait ce cinéma, il n’en voulait pas », dira plus tard Costa. Trop de misère et de désespoir devant, trop de moyens et de gaspillage d’énergie derrière. Trop de lumière aussi, pour éclairer la nuit un quartier habité par des ouvriers et des femmes de ménage qui se lèvent à cinq heures du matin. Alors, un soir, Costa décide de couper la lumière, d’éteindre les projecteurs, pour atténuer un peu le sentiment honteux et l’indécence de l’invasion. Ce geste est doublement inaugural : parce que Costa trouve ainsi sa lumière, cette qualité d’obscurité et de nuances qu’il ne cessera ensuite de raffiner ; parce qu’il comprend que ce cinéma-là n’est pas le sien, qu’il ne veut pas de travelling, pas d’assistants, pas de producteur, pas de projecteurs. Ce qu’il veut, c’est être seul dans le quartier avec ces gens qu’il aime. Prendre son temps, trouver le rythme et la méthode de travail qui s’accorde à leur espace, à leur existence. Faire table rase, recommencer à zéro, réinventer son art. Trois ans après ce saut dans le vide, Dans la chambre de Vanda apparaîtra comme le film de ce nouveau départ – à l’échelle de l’œuvre de Costa, mais aussi de l’histoire du cinéma.
Est-ce qu’être hollywoodien veut dire absorber toutes les fonctions : producteur, réalisateur, scénariste - bref, avoir le contrôle absolu ? Oui. Et non. Il s’agit de cela. Mais aussi d’avoir une limite. De se sentir employé, contraint, limité.
Cette limite, dans le cinéma classique, se nomme le studio. Costa la trouve dans ce quartier de Fontainhas. Quartier qui est à la fois un décor allant à sa perte et une humanité qui continue à exister dans ces ruines.
Daney a dit de Straub : n’existe pour lui que ce qui résiste. Chez Costa, qui de Straub s’est toujours senti l’élève, ne résiste que ce qui disparait. Où disparaitre veut dire exister dans cette disparition.
Le cinéma de Costa enregistre cette disparition comme s’il l’imaginait. Comme une monade imagine le monde. Sans vraiment le toucher ou intervenir sur lui, mais comme trouvant en elle même, comme un rêve, un souvenir ou une anticipation, le reflet de ce monde pourtant bien réel qui est celui de Vanda, de Ventura, et de Jeanne.
La rétrospective sera l’occasion de redécouvrir les premiers films de Pedro Costa, et de suivre très simplement cette oeuvre, film après film et en commençant par le dernier.
CN, ER, AT
independencia
quarta-feira, 6 de janeiro de 2010
por Luís Miguel Oliveira
Em Casa de Lava, o anterior filme de Pedro Costa, ouvia-se da boca de um cabo-verdiano em trânsito para Portugal uma frase aparentemente anódina mas que adquiria, de súbito, proporções quase trágicas: “Quero morrer em Sacavem”. A frase, dita com o tom de quem fala de um sonho, era arrepiante, mas era preciso estar cá, deste lado, para o perceber - e por sabermos que a única coisa que podíamos oferecer a quem sonhava assim era, bem pelo contrário, um pesadelo. Ossos, filme onde o Cabo Verde de Casa de Lava faz “raccord” com o miserável Bairro das Fontainhas, nos arrabaldes de Lisboa, é o filme desse pesadelo.
Pesadelo. A palavra é curta para descrever todo o alcance de Ossos, mas suficiente para o arrancar, desde já, ao fardo representado por toda a gama de “obrigações sociológicas” que alguns nele viram ou gostariam de ter visto. E importante, para evitar mal-entendidos, que isso se esclareça: Ossos não é um “documentário”, mas antes uma espécie de fábula, com não poucas alusões mitológicas variadas, sobre um mundo fechado mas sem centro, com tendência a expandir-se para lá das suas fronteiras, num movimento que dilui e consome tudo e todos à sua passagem. Como uma doença, de alma e de corpo, que avança insidiosamente até que percebemos que é tarde de mais e que ela nos rodeia. Em Ossos não há o conforto da distância nem é visível a linha que estabelece a separação entre nós e eles: quando vemos, através das mulheres a dias, a arrumação fria, higienizada e desalmada das nossas casas, percebemos, com um arrepio, que a tangente se dissolveu e que é tudo o mesmo. Muito mais do que uma estocada na má-consciência burguesa, Ossos é um filme que transforma o mundo numa parada de “zombies”, de “mortos em licença” - e o “bairro” é, aqui, todo o mundo. Como afirmou Pedro Costa em entrevista à revista francesa Les Inrockuptibles, “é como na Idade Média, tudo se torna numa espécie de território que não começa pelo centro mas pelo exterior, e começa a avançar por contágio. No filme, há qualquer coisa de muito doente que começa a invadir tudo (...); não há muita diferença entre os negros do bairro e os brancos da média burguesia: é a mesma coisa, os mesmos gostos, as mesmas ambições”. Ossos é o filme que obscurece o mundo para iluminar esta equivalência.
É por isso que, ao contrário de Casa de Lava, onde existia a personagem de Inês de Medeiros para nos guiar, em Ossos estamos, desde o primeiro plano, absolutamente sós e absolutamente dentro - ao contrário desse filme a identificação é aqui um acto forçado e incómodo. Uma vez “dentro” não se sai, transporta-se o bairro (e o “bairro” continua aqui a ser metáfora de muita coisa) no corpo. Vê-se isso muito bem naquele espantoso “travelling” onde Pedro Costa desafia todos os critérios formais que escolheu para o filme, e que mostra a caminhada de Nuno Vaz ao longo das intermináveis fachadas do bairro: como se toda a duração do plano mais não fizesse do que pôr em evidência que quanto mais se anda mais “dentro” se está. Não há fuga possível, o bairro estende-se como se fosse móvel e, o que é mais grave, como se operasse um poderoso efeito de sucção.
De resto, “sugada” é a personagem da enfermeira interpretada por Isabel Ruth: desde o princípio uma personagem associada à “doença”, acabará por ser totalmente conquistada por ela e para ela. Como se se tratasse de uma verdadeira dissolução, no último plano em que aparece já não lhe vemos o corpo, ouvimos-lhe apenas a voz; e numa confirmação da sua entrega, essa derradeira cena da personagem deixa em elipse a sua cedência ao “flirt” movido pelo marido de Clotilde.
Se há uma personagem que faz o movimento inverso é a do bebé, que anda de mãos em mãos até ao momento em que é oferecido à personagem de Inês de Medeiros. E possível resumir a narrativa de Ossos (ou pelo menos parte dela) a essa permanente circulação do bebé, entre aqueles que o querem matar (a própria mãe) e os que o querem salvar (o pai). Mas esse bebé é aqui sobretudo um símbolo, espécie de “semente do mal” (é por isso que a mãe o quer matar) cuja vida representa apenas a consumação ou a confirmação do avanço da “doença” - quando Inês de Medeiros, personagem estranha ao bairro, aceita ficar com a criança, percebemos que essa doença- conquistou mais algum terreno.
Olhar desesperado sobre a existência humana (ou já pós-humana: foi o próprio Pedro Costa quem falou das suas personagens e dos seus actores como “mutantes”), que transforma homens e mulheres em seres subterrâneos que por vezes fazem lembrar o “povo das trevas” mostrado pela Múmia do egípcio Shadi Abd As Salam, Ossos constrói para isso uma prodigiosa estrutura formal. Duas ou três coisas fundamentais passam exclusivamente, ou quase, por ela: a ausência de profundidade, como se o campo de visão estivesse permanentemente cortado e como se isso fosse uma maneira de fazer sentir a sombra da morte a pairar; a construção altamente elíptica, não só da narrativa mas também de toda a planificação, como se a comunicação entre acções e planos fosse algo de doloroso e regido por regras secretas e clandestinas; e finalmente, o som, um fantástico trabalho de som, verdadeiramente uma mise-en-scène à parte, que tanto cola à imagem como a abandona, que tanto a acaricia como a envolve para a engolir - o som, em Ossos, é a morte a trabalhar nos interstícios.