terça-feira, 11 de março de 2008
contemplation pure et dramaturgie du plan
Dans la chambre de Vanda (Film á la télé)
Après Ossos, Costa regarde de nouveau vivre les habitants du quartier cap-verdien de Fontainhas, à Lisbonne. Et transcende un réel miséreux.
Chaque film de Pedro Costa produit un choc étrange sur le spectateur, fait l'effet d'un aérolithe noir tombé d'on ne sait quels confins de la ciné-galaxie. On avait découvert le cinéaste portugais avec le fascinant Casa de lava, puis avec le nocturne et terrifiant Ossos, tourné à Fontainhas, bidonville cap-verdien de Lisbonne. Dans la chambre de Vanda peut être vu comme son prolongement "documentaire". Si on met des guillemets, c'est que le partage entre réalité brute et intervention artistique est assez difficile à démêler chez Costa : Dans la chambre de Vanda repose plus sur la mise en forme après-coup d'un matériau brut enregistré tel quel. Comme aspiré par le quartier de Fontainhas et par l'humanité qui le peuple, Costa a en effet décidé d'y prolonger son séjour et d'y filmer la vie et le temps qui s'écoulait devant lui. La Vanda du titre, c'est Vanda Duarte, actrice principale d'Ossos. Elle semble passer la majeure partie de sa vie sur son lit où elle fume, se came, tousse et crache comme une tubarde. A part attendre que la vie passe, Vanda et son entourage vivent les petites histoires quotidiennes et banales. Il y a ici peu de récit, nul rebondissement ou événement spectaculaire, juste la puissance fascinante du temps qui s'écoule, des gestes et des corps scrupuleusement observés, des sons et des voix méticuleusement captés, et l'étrange relation symbiotique entre des gens et un lieu au summum de la pauvreté et de la misère. Ces êtres étranges à nos yeux, comme privés de sève, de moteur et d'horizon futur, au regard parfois hébété, vidé par la drogue, ressemblent parfois aux zombies de Tourneur, aux morts-vivants de Romero. Le film recèle la beauté de tous les films consacrés à un monde en train de disparaître. S'il y a beaucoup de misère dans la réalité que filme Costa, le cinéaste réussit à ne jamais trébucher dans le piège du misérabilisme, ni d'ailleurs dans celui, inverse, de l'esthétisation de surface et de l'édulcoration. Costa ne demande rien aux personnes qu'il filme, il ne veut pas les prendre en otage, leur extorquer derrière le dos un message sociologique. Ces personnes sont irréductibles, irrécupérables, et Costa se "contente" de les regarder, ce qui, pour un cinéaste, constitue la plus belle preuve du respect qu'il puisse porter aux êtres qu'il filme. Autant qu'un choix esthétique, le plan-séquence fixe est ici sans doute un choix éthique, une façon de poser la caméra en dérangeant le moins possible. Mais la matière brute est aussi retravaillée. En filmant en vidéo, le plus souvent la nuit ou dans des pièces sombres, Costa retrouve aussi une certaine picturalité : la source de lumière unique évoque quelques grands maîtres anciens, de Rembrandt à de La Tour, les visages abîmés font resurgir Goya. Toute la beauté de ce film réside dans ce paradoxe entre enregistrement brut et travail de la matière, contemplation pure et dramaturgie du plan, dans la cohabitation permanente d'une objectivité apparente et d'une subjectivité profonde.
SERGE KAGANSKI
26 février 2003
in http://www.lesinrocks.com/