terça-feira, 11 de março de 2008

Un film brûlant et pourtant sans soleil ou alors un soleil noir.


Ossos

Ossos, geste esthétique radical pour dire l`enfermement sans espoir des damnés de notre monde. Un Soleil noir.

Aux asthmatiques, on n'oserait conseiller Ossos : ce film est comme du plomb coulé dans les poumons. Un film brûlant et pourtant sans soleil ou alors un soleil noir.Ossos pour Les Os. Bouts d'os calcinés, disposés pour faire frontière, délimiter l'espace d'une communauté, ou bien tenus pour la même raison : relier des gens entre eux. On voit donc clairement un âtre, et des faces de totems qui tournent autour. Il y a Nuno (le père), le bébé, et sept femmes : Tina (la mère), Clothilde (amie, femme et amante qui pense qu'elle aurait dû être la mère), deux fées, deux infirmières et une prostituée qui finalement emmène le bébé. Le quartier et sa pauvreté sont concrets. Mais il n'apparaît pas comme un lieu réel, plutôt une projection de l'esprit.

Les gens sont filmés avec cette distortion particulière qui permet aux contours, aux formes, de se détacher de leur matière. Ils apparaissent telles des ombres chinoises ou comme à contre-jour, opaques, pesants, indéchiffrables. Lorsqu'ils parlent, ce n'est pas leur voix qu'on entend mais un écho plus lointain, qui s'échappe par leur bouche. Il n'y a naturellement pas un seul contre-jour dans ce film quasi parfait. Nuno est immolé dans quelque sombre machination pour n'avoir pas voulu laisser la mère de son fils tuer son bébé, pour avoir volé ce dernier et l'avoir donné à une prostituée après avoir espéré le vendre. Il faut peut-être essayer d'oublier l'entêtante scène où Tina traîne de force Nuno, totalement camé, devant le nouveau-né, l'obligeant par là à partager leur mausolée. Et il faut être très attentif pour comprendre ce récit, précis en son centre et complètement flou sur ses bords. Ossos esquive constamment le centre de son histoire, fait des détours pour ne pas avoir à montrer ce qui l'obsède et, partant, ne donne à voir que du flou, de l'ambivalence, des traces à partir desquelles on essaie de reconstruire, un peu inquiets, l'événement tragique.

Les paroles nous aideront peu à comprendre ce qui se passe, ce qui s'est passé : en plus d'être rares, elles sont sibyllines, sans parler des mensonges et autres vilenies. Il vaut mieux croire les mains, les poses, les regards, et lire le film comme un tableau, gestes et apparats déterminant la fonction du personnage et créant une amorce de récit ce qui prouve qu'Ossos cherche l'hyperlucidité plutôt que l'extralucidité. Comme il n'y a presque jamais de contrechamps, on ne sait trop s'il s'agit de plans objectifs ou subjectifs. Ce qui finit par faire un plan d'un troisième genre, qui tient à la fois du regard impudique et de l'image privée, du rêve. Film aveugle les plans se suivent mais ne se reconnaissent pas et film muet, Ossos est très bruyant, laisse le vacarme du dehors corroder, salir ses images, comme une pluie acide qui tomberait sur cet archipel de solitudes. Trop corseté au début, trop fixe, le film devient hypnotique lorsque l'image s'approfondit et que, abandonnant son dogme, la caméra suit les mouvements des modèles et c'est avec une géniale économie de gestes que Costa laisse émerger des affects qu'un attirail plus lourd étoufferait.

Si Ossos nous fait penser à John Ford, ce n'est pas seulement pour les cauchemars enfilés sans sourciller (le bébé dans le sac poubelle ne démérite pas, dans le registre traumatique, de l'enfant se jetant sur la boîte à musique dans Les Deux cavaliers), ni pour sa sensibilité féminine, son angoisse maternelle de l'enfant mort. Ni parce qu'il broie du noir au sens propre. Ni enfin parce qu'il place les origines de la politique dans un obscur fourneau de sentiments. Mais parce que, tout simplement, Nuno s'avançant dans le corridor enténébré nous fait penser à la belle Ann Bancroft de Frontière chinoise, qui avançait d'une démarche glissante vers son destin de victime sacrificielle. La différence, c'est que l'enfant est déjà là, que le viol a déjà été perpétré, que le sacrifice est inutile et que la mort n'attend pas au bout du couloir. Il n'y a que reconduction sempiternelle d'une vie d'ectoplasmes, d'anges damnés. Le quartier apparaît alors comme une prison qui aurait les dimensions du monde.

DOMINIQUE MARCHAIS
04 février 1998


in http://www.lesinrocks.com/